Paul Guiragossian à la Galerie Tabbal

Couleurs sonores ou sourdes. Mouvement battant la mesure, servi par un pinceau usant d’une palette éclatante mais toujours réaliste. Images simplifiées se répartissant en petit nombre de zones d’intense vibration colorée, comme détachées des détails environnants. Traits épais incisifs ou amples des personnages surgissent enveloppés dans des sortes de suaires puisque témoins tragiques, ils ont endossé la réalité du vécu de l’Histoire ou du présent. Créant un monde où Guiragossian s’érige en défenseur de l’opprimé, le pinceau du maitre le magnifie, rendant hommage à sa pudeur, sa fierté face au destin inéluctable. Trouvant toujours son inspiration dans ses émotions l’artiste rend avec fougue des tons intenses aux synthèses dramatiques et tranchantes ; tension vibrante d’une foi mystique les couleurs éclatent en éclairs parmi des contrastes noirs. Naissent alors les tableaux d’une exposition….. Une manifestation signée Guiragossian est toujours un événement artistique de haute tenue. La cinquantaine d’aquarelles exposées à la Galerie Tabbal témoigne d’une épopée qui ne s’arrêtera que dans l’infini, les œuvres restant des tranches de vie, pages d’histoire arrachées au grand Livre de la Vie. L’aquarelle, pour l’artiste, représente une technique plus immédiate, encore plus spontanée. Continuant d’imposer son style qui retrouve ses racines dans ses origines, Guiragossian se penche inlassablement sur la misère humaine et projette sur le papier ses sentiments, ses tourments ses bouleversements, son désarroi face à la marche inexorable du destin. Malgré une épuration extrême des formes de l’art de Paul Guiragossian ne peut être qualifié d’abstrait. Il est surtout réaliste. Sondant son moi intérieur, sa dimension essentiellement spirituelle et humaine. Peintre au riche chromatisme, les compositions vibrent au moyen de tons vifs ou dilués. Les teintes s’interpénètrent, ou s’éloignent, se heurtent ou s’épousent, débauche de couleurs qui s’harmonisent toujours. Guiragossian reste le génie de la palette qui sans se trahir jamais, et sans concession aucune « balafre » son œuvre comme voulant la marquer à jamais. Solidement charpentée la composition est faites de larges traits de brosse, de pointillés engendrant le mouvement soutenu par la densité des coloris choisis. Il y a toujours dans une œuvre de Guiragossian une fureur mystique et dénonciatrice, qui trahit un homme solitaire en rupture d’une société, entièrement réservé à son art, seul moyen de communication, unique moyen d’expression. Trahissant son amour sensuel de la couleur qui a un pouvoir émotif intense, l’œuvre éclate, les formes se défont et nous assistons à un passage du matériel au spirituel. Peignant avec audace et liberté ses aquarelles ont une cadence propre, une poésie, un symbolisme puissant visualisant toujours une émotion, une sensation. Et la vie est là, palpitante ou dynamique. Les formes humaines verticales, presque en lévitation défient leur sort, éternelles puisqu’intemporelles. L’espace temps est aboli. Fragile reste la barrière entre la mort et la vie. Portant le témoignage de sa foi, les métaphores nous troublent, nous émeuvent comme seules peuvent le faire tous les signes qui font allusion à ce profond monde poétique enseveli en chacun de nous. Certitude intérieure qui fait aussi que l’artiste contestataire face à des situations imposées se révolte et demande justice. Peintre viscéral également, de ses entrailles jaillit un cri. Vertige du pinceau, sens mystérieux de la vie des tons, qui comme celle d’un mout palpite sous nos yeux. « Qu’importe la géographie, l’expression universelle à travers la forme, c’est cela qui compte » devait confier l’artiste. En contemplant ces aquarelles qui saisissent le flux et l’essence, nous avons le privilège de voir le monde, une vision précise qui n’est jamais banale, puisque vous magnétisant, vous entraine et trop tard vous en êtes prisonniers. Il en va ainsi des aquarelles comme des écrits. Tumultueux, éloquents. Reflets d’une réalité. Miroir du temps.

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