Norikian: Le mal d’un pays

Le destin d’un peuple n’a rien à voir avec le temps qui coule, qui fuit… j’avais écrit un jour, il n’y a pas longtemps que Norikian faisait œuvre d’historien, et je réalise maintenant face à ses œuvres qu’il reste un chroniqueur, puisqu’il représente ce théâtre de la condition humaine, cette actualité mouvante faite de pleurs et de joies… L’œuvre nous pénètre et nous y pénétrons tout à la fois dans ces scènes de la mémoire et de l’espoir. Une terre où les rêves se nourrissent de boue, de sang souvent, mais également d’espoir. Norikian , en analyste averti, orchestre son espace, non pas simplement par allusions, représentatives, qui cherchent à ravir le regard, mais laisse percevoir les résonnances d’une pensée dont l’originalité réside dans la lucidité. L’artiste, ce créateur solitaire, vit seul dans un univers fini. Ce qu’il voit lui est étranger. Ce qu’il pense voir dans l’exil du chevalet, voilà qui la retire du monde tout à fait. Criant ce qu’il a à dire, Norikian n’accepte aucun compromis, refusant de gommer ce qui lui tient à cœur. Sincère et prolixe ne reculant devant aucune tentation facile, il exprime sa révolte, ses joies et son amour de l’humanité dans un langage chaud, coloré et dynamique. Sa peinture s’apparente aux arts du feu. Elle fixe l’ombre et la lumière, elle anime l’eau et la terre, elle demeure quand nous passons, elle donne aux apparences une forme pleine aux allusions leur densité. Par l’obstination prométhéenne des créateurs d’images, elle détourne les éléments de leur vocation nocturne. Et nous entrons de plain-pied dans son univers peuplé de ses propres Créatures, un territoire qui ressemble étrangement à nos souvenirs…et le déclic se produit soudain dans la mémoire. L’image nait par touches léchées. La toile vibre au contact d’un pinceau trempé dans une pate généreuse soulevée par un ample mouvement de tranquille certitude. Faire du charme n’est pas son but. Ennemi de l’ostentation racoleuse et des concessions « mondaines », l’artiste veut toucher, émouvoir son public sans avoir appel au délire de l’absurde et du désordre. Norikian invite le spectateur à réfléchir. Un hommage à la vie humiliée. Remplissant la tache de tout véritable artiste : ajouter à la réalité encore inconnue, une réalité qui la renouvelle et l’enrichit, l’artiste impose à ses visions, ordre, rythme, logique. En observant attentivement le monde autour de lui, ses tableaux naissent de choses vues, de choses aperçues. Seul dans son atelier, il livre la bataille de tous les créateurs, la bataille pour l’expression et pour l’ultime réconciliation entre ce à quoi il aspire, ou par qui il est inspiré, et ce que son pinceau produit. Une lutte constante certes puisqu’elle impose à suivre toujours les exigences de sa vision jusqu’à la réalisation complète. Fruits d’une réflexion, d’un cheminement intérieur, les œuvres de Norikian sont rendues au moyen de compositions solidement structurées. Des aquarelles délicatement rythmées où dominent de larges plages blanches traduisent un climat où malgré le tragique du sujet, l’espoir est là sous le derme de la matière. Les fonds s’éclairent. Ils s’animent, nourris de mille tonalites nuancées et leur mobilité participe à la vie du sujet. Les figures, elles aussi, témoignent d’une âme nouvelle. Enfin la lumière que l’artiste recherchait partout égale, éclaire. Des portraits où Norikian inscrit tous les accents, sans lourdeur, cherchant à travers les contorsions de la ligne et l’éclat vibrant de ses coups de pinceau, sa propre voie. Sa peinture est de feu puisqu’animée par une âme ardente. On retrouve cette année un Norikian d’une musicalité apaisée. Ces êtres face à vous semblent vous fixer douloureusement, conscients de leur vie fragile, avec leur frayeur, leur misère, leur interrogation. Un art vibrant, un ordre nouveau, une proportion nouvelle avec l’emploi de couleurs vives et franches. Ainsi dans le monde vont rêvant des artistes se souvenant et au bout du chemin…la terre de la naissance…regardez ces yeux noirs de deuils… Regardez ces pieds déformés d’avoir marché sur les chemins de l’errance…Voyez ces paumes craquelées d’avoir trop prié… Ces rêves éclatés …ces illusions brisées … une terre qui s’échappe…c’est encore ceci que Norikian peint, peint rageusement pour nous dire de ne pas oublier, peint pour exorciser le mal d’un pays.